4.3 … et l’UPC tente de déjouer le plan français
Face à l’offensive politique et militaire de la France, les upécistes ne désarment pas. N’ayant plus d’autre possibilité pour s’exprimer sur la scène camerounaise que la lutte clandestine, depuis son interdiction au Cameroun français en 1955 et en zone britannique en 1957, l’UPC investit la scène internationale. Prenant acte de la volonté française de conduire le Cameroun à l’« indépendance », ses dirigeants tentent de convaincre leurs interlocuteurs étrangers que cette dernière n’aura de valeur que si le peuple camerounais est préalablement consulté. Ils réclament un référendum posant explicitement la question de l’indépendance et des élections supervisées par les Nations unies permettant à toutes les sensibilités politiques - y compris l’UPC - de concourir et de s’exprimer librement. Cherchant à élargir l’étau qui se resserre autour d’un État-nation camerounais « associé » à Paris et programmé pour servir les intérêts français, l’UPC tente de redonner au concept d’indépendance, utilisé par les Français comme un simple outil de propagande contre-subversive, sa signification réelle.
En raison du statut particulier du Cameroun, et parce qu’ils ont toujours adopté une orientation pan-africaine et internationaliste, les responsables de l’UPC ont très tôt noué des contacts dans les autres pays, en Afrique et au-delà. Membre du Rassemblement démocratique africain (RDA), l’organisation a gardé des relations dans les autres colonies françaises d’Afrique, en dépit de son exclusion du RDA en juillet 1955. Mais c’est surtout après l’interdiction en zone britannique, où s’était réfugiée la majeure partie de la direction du parti, que ses contacts internationaux vont s’étoffer.
D’abord exilé au Soudan, le Bureau du comité directeur (BCD) du parti nationaliste est ensuite accueilli en Égypte. Le Caire, où est organisée en décembre 1957 la première conférence de l’Organisation de solidarité afro-asiatique (OSAA), devient la base opérationnelle de l’UPC en exil. Soutenue financièrement par le secrétatiat permanent de l’OSAA, elle y installe un bureau qui lui permet d’approfondir ses relations avec les autres mouvements de libération nationale, comme le FLN algérien ou l’Istiqlal marocain, dont les journaux se font l’écho de la lutte des combattants kamerunais. Bénéficiant des puissants émetteurs de la radio égyptienne, qui leur permettent de diffuser par les ondes leur propagande jusqu’au Cameroun, les upécistes profitent surtout de nouvelles facilités pour imprimer ieur journal, La Voix du Kamerun, et de multiples brochures qui documentent, photos à l’appui, les agissements de la France au Cameroun.
Le Caire devient aussi la base de départ pour rallier toutes les villes du monde où l’on veut bien les écouter : à Damas pour la confécence des juristes afro-asiatiques, à Stockhoim pour la conférence mondiale pour la paix ou à New York pour des auditions devant le Conseil de tutelle de l’ONU. De passage à Genève, Ernest Ouandié tente de sensibiliser le Conseil international de la Croix-Rouge (CICR) aux détentions arbitraires et à la torture qu’endurent les populations camerounaises. D’abord intéressé, le CICR finit par classer le dossier, convaincu par Le gouvernement français - auquel il a demandé des explications - que l’envoi d’une mission sur place est d’autant moins nécessaire que le pays accédera bientôt à l’indépendance25.
À sa façon, le CICR illustre l’incompréhension grandissante qui éloigne les nationalistes camerounais de leurs potentiels soutiens européens. Maintenant qu’est officiellernent enclenché le processus d’accession à l’indépendance, ces derniers peinent à comprendre l’attitude rebelle des nationalistes. À l’instar des upécistes ralliés qui refusent de voir ce qui se trame derrière l’indépendance annoncée, nombre de militants anticolonialistes européens, même les plus engagés, jadis, derrière Um Nyobè, désapprouvent la stratégie de violence défendue par Moumié. Si l’on peut comprendre que les Algériens se battent pour arracher leur indépendance, pourquoi les nationalistes du Cameroun, dont l’indépendance est acquise, ne négocient-ils pas avec la France comme le font leurs homologues du Togo ? Maintenus dans l’ignorance sur la situation camerounaise, désinformés par la propagande franco-britannique, parfois aveuglés par leurs propres certitudes paternalistes et ignorant tout simplement que l’UPC a bien tenté à plusieurs reprises de trouver une solution pacifique à la crise (mais les courriers confidentiels envoyés par Moumié aux autorités françaises et britanniques sont restés sans réponses), ces militants anticolonialistes ne comprennent pas que la guerre engagée par la France au Cameroun ne vise plus à empêcher l’indépendance, mais à imposer une autre forme de domination derrière le masque d’une indépendance nominale.
Peu écoutée à Genève ou à New York, mal comprise à Paris ou à Londres, FUPC reçoit en revanche un soutien plus ferme à Accra et à Conakry après l’indépendance du Ghana et de la Guinée. Invité à deux reprises dans la capitale ghanéenne au cours de l’année 1958, à l’occasion de la première conférence des États africains indépendants, en avril, et de la conférence générale des peuples africains, en décembre, Félix Moumié remporte une victoire importante lors de cette seconde rencontre. Alors que la France se démène en coulisse pour inciter le leader ghanéen Kwamé Nkrumah à suspendre l’invitation du président de l’UPC, celui-ci est non seulement invité mais nommé au comité directeur de la conférence. Pire encore pour les autorités françaises, les pays et organisations présents adoptent une résolution demandant l’amnistie totale des membres de l’UPC, le retour des exilés politiques, un référendum sur la réunification du Cameroun et des élections démocratiques sous la supervision des Nations unies26. Pour les responsables français, qui mettent tout en œuvre au même moment pour « sécuriser » l’indépendance du Cameroun, un tel vote s’apparente à un grave danger.