1.5 1945 : un nouvel ordre mondial

La conférence de Brazzavilie organisée en février 1944 par les autorités françaises, encore provisoires, illustre également les ambiguités d’un système colonial qui entend se perpétuer tout en affirmant être au service des colonisés. Le général de Gaulle y promet beaucoup : liberté syndicale pour les Africains, égalité des salaires, suppression de l’indigénat et du travail forcé, assemblée représentative dans chaque territoire. Mais ces promesses restent strictement encadrées : la déclaration finale de la conférence écarte catégoriquement « toute possibilité [pour les territoires coloniaux] d’évolution hors du bloc français » et « toute constitution, même lointaine, de self-govemement ».

Si les autorités de La France libre cherchent à réaffirmer leur emprise sur ses territoires africains tout en promettant quelques concessions aux colonisés, c’est parce qu’elles savent que les équilibres intermationaux qui se dessinent à la fin de la Seconde Guerre mondiale sont plus défavorables que jamais à la perpétuation à l’identique du système colonial. Déjà entamée par l’implication croissante des États-Unis et de l’Union soviétique dans les affaires du monde et par l’influence grandissante du droit dans les relations internationales depuis la fin de la Première Guerre mondiale, l’hégémonie européenne est sévèrement remise en cause en 1945.

Les nations coloniales, Royaume-Uni et France en tête, parviennent cependant à sauver l’essentiel. La Charte des Nations unies a beau mettre en avant le « droit des peuples à disposer d’eux-mêmes », Londres et Paris réussissent à limiter la portée du texte, signé le 26 juin 1945 à San Francisco, par cinquante États indépendants. En dépit de ses accents généreux, la Charte valide la persistance de « territoires non autonomes ». Toujours administrés par les puissances coloniales, les territoires « sous mandat » de la SDN qui n’ont pas accédé à l’indépendance deviennent des territoires « sous tutelle » de la nouvelle Organisation des Nations unies (ONU). Dotée d’un Conseil de tutelle, qui remplace la Commission des mandats, l’ONU perpétue ainsi le système mandataire d’avant guerre selon des dispositions à peine modifiées.

En ces temps de bouleversements mondiaux, opn comprend que les peuples colonisés aient pu considérer les promesses faites par les puissances dominantes au cours du conflit comme autant d’utiles instruments pour réclamer l’amélioration de leur situation. La Charte de l’Atlantique, signée en 1941 par le Président américain Franklin D. Roosevelt et le Premier ministre britannique Winston Churchill, ne promet-elle pas le « droit de tous les peuples à choisir la forme de gouvernement sous laquelle ceux-ci veulent Vivre » ? La Conférence de Brazzaville n’a-telle pas promis aux Africains l’« élévation de leur standard de vie » ? Quant à l’article 76 du Chapitre XII de la Charte, consacré au système des tutelles, n’appelle-t-il pas les autorités administrantes à « favoriser » chez les peuples maintenus sous leur tutelle « leur évolution ’ive vers la Capacité à s’administrer eux-mêmes ou l’indépendance »? Malgré l’ambiguïté de la formulation, ce texte devient un argument majeur pour les mouvements nationalistes en cours de formation.