Introduction : une guerre invisible

« La guerre psychologique ne se “déclare pas”, elle n’“éclate pas” en s’accompagnant d’un ensemble de mesures spectaculaires telles que la mobilisation ou la concentration des armées. Elle s’établit, elle “est” ; on constate un beau jour qu’elle sévit avec plus où moins d’intensité et, ce qui est grave, ses victimes sont généralement conduites à cette constatation alors qu’il est déjà trop tard. La guerre psychologique est secrète, elle est d’abord clandestine. »

Commandant Jean Lambekton, La Guerre psychologique, École d’état-major, année 1954-1955.

Rencontrer un fantôme n’est pas une chose banale. Pendant des années, nous avons cherché à retrouver la trace d’un homme qui avait cosigné en 1988 un ouvrage intitulé O.K. Cargo ! et sous-titré La saga africaine d’un pilote d’hélicoplère. Un livre étrange, plein de spectres, de cadavres et d’obscurs pseudonymes. Racontant « vingt années incandescentes d’aventure ou de guerre totale », comme le précise la quatrième de couverture, le pilote consacrait un chapitre au « génocide » auquel il disait avoir participé au Cameroun dans les années qui ont suivi l’indépendance du pays en 1960.

Contrairement à la plupart des témoins français que nous avons rencontrés dans le cadre d’une longue enquête sur cette guerre méconnue, dont nous avons rendu compte de façon détaillée en 2011 dans notre livre Kamerun ! - et dont le présent ouvrage est à la fois une synthèse et un prolongement1 -, l’auteur ne faisait preuve d’aucune retenue. « En deux ans, écrivait-il, l’armée régulière à pris le pays Bamiléké, du sud jusqu’au nord, et l’a complètement ravagé. Ils ont massacré 300 000 ou 400 000 Bamiléké. Un vrai génocide. Ils ont pratiquement anéanti la race. […] Les villages avaient été rasés, un peu comme Attila, tu passes, tu ne laisses rien. Peu de Français sont intervenus directement. J’en ai connu trois ou quatre, c’est tout. La presse n’en a pas parlé.»


  1. Thomas Deltombe, Manuel Domergue, Jacob Tatsitsa, Kamerun! Une guerre cachée aux origines de la Françafrique, 1943-1971, La Découverte, Paris, 2011, 744 p. Pour ne pas alourdir cet essai, nous avons fait le choix de limiter eu maximum l’appareil de notes (réunies en fin d’ouvrage, p. 237) en mentionnant uniquement les sources qui n’apparaissent pas dans notre ouvrage précédent. Le lecteur désireux d’en savoir plus, notamment sur les références archivistiques, pour s’y reporter.↩︎