4.7 L’indépendance « de façade » du 1er janvier 1960

La description d’Ahidjo comme un Pétain africain est d’autant plus tentante pour les exilés que l’Assemblée législative du Cameroun confie pour six mois, le 29 octobre 1959, les pleins pouvoirs au Premier ministre camerounais. Deux mois avant la proclamation d’indépendance, le voilà donc seul maître du pays. Débarrassés de la tutelle onusienne en mars et de tout contrôle parlementaire en octobre, les représentants de l’État français et les conseillers français de l’État camerounais peuvent ainsi « négocier » en toute amitié, et en toute impunité, les nouveaux accords franco-camerounais qui prendront effet en même temps que l’indépendance. Plus contraignants encore que les accords signés en décembre 1958, et comportant toujours des clauses secrètes, ces textes permettront à l’armée française d’intervenir plus ouvertement contre la rébellion tout en encadrant encore plus sévèrement la souveraineté camerounaise.

Au moment où ces accords sont paraphés, l’ALNK et ses organisations satellites lancent une vaste offensive, qui ne cessera de s’amplifier dans les jours et les semaines suivants. Appelant les nations amies à boycotter les cérémonies d’indépendance, qui se préparent à Yaoundé dans un climat de terreur, le bureau du comité directeur de l’UPC prévient les dirigeants africains en décembre 1959 : « Les problèmes africains sont aujourd’hui si interdépendants que des événements qui se déroulent dans tel ou tel territoire de notre continent ne devraient laisser indifférent aucun Africain. Si l’expérience fasciste contre laquelle lutte le peuple kamerunais réussit, ceux qui y ont intérêt ne s’empêcheront pas d’étendre le champ d’application31. »

L’appel au boycottage n’ayant pas été suivi d’effet, Ahmadou Ahidjo proclame le 1er janvier 1960 l’indépendance du Cameroun devant un flatteur parterre de représentants étrangers. Pendant que les « troubles » se poursuivent à quelques centaines de mètres seulement, le secrétaire général de l’ONU, l’ambassadeur américain à l’ONU, des dizaines de représentants africains et même quelques émissaires soviétiques applaudissent le discours prononcé par le Premier ministre camerounais. « Nous savons que cette indépendance que nous venons d’obtenir ne serait qu’un leurre si nous ne pouvions l’assurer dans la réalité quotidienne, nous sommes décidés à lui donner une existence qui ne soit pas seulement de façade », promet Ahidjo en ânonnant le texte qu’a rédigé pour lui son conseiller français Paul Audat, administrateur colonial tout juste reversé dans la « coopération ».


  1. TODO↩︎