1.1 Kamerun, Cameroun, Cameroons : un problème de souveraineté
Après la signature par les puissances européennes du traité de Berlin (1885), édictant les règles du fameux « partage de l’Afrique », les Allemands s’imposent sur la côte occidentale du territoire qu’ils appellent « Kamerun », traduction du mot Camarões, que les explorateurs portugais avaient utilisé pour baptiser l’estuaire du Wouri, riche en crevettes. Ayant fait signer en 1884 aux rois Douala un « traité de protectorat » léonin, les Allemands étendent ‘ivement leur influence dans l’hinterland, atteignant le lac Tchad, au nord, en 1894. Le territoire s’agrandit encore à la faveur du « coup d’Agadir » en 1911. Ce coup de force - l’envoi par les Allemands d’une canonnière dans la baie d’Agadir pour faire pression sur les Français - permet à Berlin d’obtenir une extension territoriale en Afrique équatoriale en échange de l’abandon de ses prétentions sur le Maroc. Le Kamerun gagne 272 000 km2 en incorporant d’anciens territoire d’Afrique équiatoriale française (AEP).
Conquis par le fusil, soumis par le travail forcé, traversé par un réseau ferré qui permet d’extraire les richesses agricoles, syvicoles et minières du territoire, le Kamerun allemand ne survit pas à la Première Guerre mondiale. Les Françals, qui possèdent Le Gabon, le Moyen-Congo, le Tchad et l’Oubangui-Chari, et les Britanniques, maîtres du Nigéria voisin, prennent le contrôle du territoire en 1916. Cet état de fait est avalisé par le traité de Versailles, en 1919, et par les tractations diplomatiques qui se prolongent dans les années suivantes.
À l’instar des autres dépendances allemandes et ottomanes, le Kamerun devient un territoire international sous la supervision de la SDN. Démantelé, comme le Togoland, lui aussi retiré aux Allemands, il est confié aux vainqueurs sous forme de « mandats ». La France obtient les quatre cinquièmes du territoire (Cameroun français), tandis que le Royaume-Uni reçoit les deux parties occidentales, frontalières du Nigéria (British Cameroons). En vertu du statut particulier des territoires sous mandat, Paris et Londres sont soumis au contrôle de la SDN et s’engagent à rendre des comptes annuellement à la Commission permanente des mandats, pour assurer qu’ils se conforment aux missions qui leur ont été confiées. Parmi ces missions, figure celle de garantir aux populations locales « le bien-être et le développement ».
Le nouveau statut du Kamerun est le fruit d’un double compromis : franco-britannique sur les nouvelles frontières du territoire, euro-américain sur le statut juridique des entités territoriales ainsi constituées. Alors que les Européens auraient volontiers annexé les dépendances des pays vaincus, ils doivent composer avec les Américains, qui ont joué un rôle décisif dans la victoire des forces alliées. C’est le président américain Woodrow Wilson qui impose cette formule mandataire. Compromis conçu comme temporaire, cette formule est particulièrement ambiguë : elle permet, d’un côté, aux puissances européennes d’étendre leur influence coloniale tout en les incitant, de l’autre, à respecter les droits fondamentaux des peuples placés sous leur administration.
Ne reconnaissant pas explicitement la souveraineté de Londres et de Paris sur « leurs » Camerouns respectifs, le statut mandataire laisse surtout en suspens cette question cruciale : qui, au juste, est souverain dans J’ex-Kamerun allemand ? La Société des Nations, les puissances mandataires ou les habitants du territoire ? Le dispositif juridique par lequel la SDN délègue, au nom des populations locales, l’administration de leur territoire à des puissances coloniales ne fait en réalité que souligner les paradoxes, les ambiguités et l’hypocrisie du système colonial tout entier. Un système intrinsquement raciste qui se prétend pourtant humaniste.