Chapitre 5 La guerre totale (1960-1961)
« La réserve dans laquelle la France devait se tenir au cours des derniers mois était motivée par la situation particulière du Cameroun. Maintenant que le gouvernement camerounais jouit de sa pieine souveraineté, il est à même de prendre les mesures qui s’imposent. »
Charles De Gaulle, Lettre au président (français) de la chambre d’agriculture du Cameroun, 17 décembre 1959.
Tel est le paradoxe : l’indépendance du Cameroun a libéré la France. Débarrassée du contrôle onusien, donc du regard international sur sa gestion du pays, elle peut désormais cogérer à sa guise l’ancien territoire sous tutelle avec un exécutif local qui s’est lui-même débarrassé de tout contrôle parlementaire, en faisant voter les pleins pouvoirs à Ahmadou Ahidjo, et qui a abandonné à l’ex-métropole des pans entiers de sa souveraineté. L’« indépendance camerounaise » n’est donc qu’un trompe-l’œil : souveraineté nationale et souveraineté populaire ont été réduites à peau de chagrin.
Dans les mois qui suivent les cérémonies officielles du 1 janvier 1960, l’urgence est de réduire la rébellion qui continue de s’étendre dans le sud du pays. Cela se fera, sous le paravent camerounais cette fois, mais avec des moyens décuplés. Car c’est la première conséquence de l’indépendance camerounaise : libérer l’action des forces répressives françaises dans leur combat contre l’UPC. Selon la version officielle, complaisamment relayée dans la presse parisienne, c’est « à la demande du gouvernement du Cameroun » que la France intervient militairement, « conformément aux textes qui Hent les deux pays ». Mais, derrière la façade, ce sont bien les plus hautes instances françaises qui gèrent le dossier camerounais.
Le Cameroun devenu «indépendant», ce dossier aurait dû être confié au ministère des Affaires étrangères. Au grand étonnement du Quai d’Orsay, dont le ministre Maurice Couve de Murville juge dès janvier 1960 le procédé « tout à fait extraordinaire », c’est pourtant à Matignon qu’il échoie. Le Premier ministre Michel Debré est donc en première ligne, secondé par son fidèle bras droit, Constantin Melnik, qui assure la liaison avec les services secrets. Et comme le dossier implique l’armée française, Debré le gère avec le ministre des Armées, qui n’est autre, à partir de février 1960, que Pierre Messmer, l’ancien haut-commissaire à Yaoundé, aidé pour sa part de Jean Lamberton, autre fin connaisseur du dossier camerounais, qui devient chef de son cabinet militaire. Le tout est supervisé par l’Élysée, où règne l’« homme-de l’ombre » du régime gaulliste : Jacques Foccart.