2.6 « Écraser les activités communistes pour défendre la civilisation »

L’évolution de la stratégie coloniale française, qui revient à jouer la carte de l’autonomie pour mieux saper les revendications d’indépendance et à favoriser les élites dociles pour mieux encadrer des « masses africaines » dont les revendications sont toujours décrites comme irrationnelles et irréalistes, n’échappe pas aux nationalistes camerounais. Publié en métropole par des étudiants camerounais proches de l’UPC, le journal Kaso indique clairement que ces derniers ont une parfaite conscience de ce qui est en train de se tramer. « Sans vouloir chicaner sur les mots, peut-on lire dans sa livraison de mars 1955, nous estimons que la tunique “autonomie” camoufle une arrière-pensée de domination et de lucre et nous est tout aussi funeste que celle de Déjanire le fut à Hercule. »

Pour les observateurs de la scène politique et sociale camerounaise, il est clair, entre 1954 et 1955, que la tension monte entre les nationalistes et l’administration coloniale. Cette dernière s’inquiète de l’audace et du succès croissants des upécistes. « Telle qu’elle est, l’influence upéciste est incontestable, note en mars 1955 le policier Pierre Divol, au terme d’un rapport de soixante-cinq pages sur l’implantation de l’UPC au Cameroun. Incontestablement, elle a progressé en l’espace d’un an. Elle continuera à croître. Dans quelle mesure ? Il faudrait d’abord répondre à cette autre question : connaissant les origines, les buts, la structure et l’implantation de l’UPC, que va-t-on lui opposer ? » Dans ses rapports confidentiels, l’armée française n’est pas plus optimiste. Soulignant, en 1955, la « grande activité » de l’UPC, ses « progrès très rapides » et son « efficacité toujours plus grande », elle s’inquiète de voir « certains quartiers de Douala (New-Bell), de Yaoundé (Mokolo, Mvog Mbi) et la quasi-totalité des régions du Mungo et de la Sanaga-Maritime [se transformer] en de véritables fiefs nationalistes où l’action de l’administration [est] systématiquement annihilée, l’UPC se substituant même aux cadres administratifs ».

Alors qu’ils regardaient en 1948 l’UPC comme une simple épine dans le pied de la France, les responsables coloniaux redoutent désormais la gangrène. Laquelle pourrait non seulement emporter le Cameroun mais faire des émules dans les autres colonies. D’où l’exaspération des administrateurs coloniaux, à tous les échelons de la hiérarchie. « Il serait bon de prévoir dans les plus brefs délais la dissolution du parti UPC », réclame dès novembre 1954 l’administrateur de Bafang (Ouest). « Il faut poursuivre sans haine et sans faiblesse toute activité subversive sous quelque forme qu’elle soit, traquer l’UPC, l’interdire, frapper les chefs irréductibles », insiste de son côté le chef de subdivision d’Éséka en mars 1955. Car, ajoute-t-il, «les moyens démocratiques de lutte contre l’UPC sont voués à l’échec ». Alors que le ministère de la France d’Outre-mer étudie les moyens juridiques qui permettraient d’interdire l’UPC, Paris nomme à Yaoundé un haut-commissaire à poigne, Roland Pré (1907-1980). Lequel expose son programme au moment même où il pose le pied sur le sol camerounais, en décembre 1954 : « Écraser les activités communistes pour défendre la civilisation15. »


  1. TODO↩︎